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Être en paix
29 avril 2016

Le chef d'orchestre manquant

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                                                                                                                                      L'esprit n'est pas dans la tête.

                                                                                                                                                     Francisco J. Varela

 

  Une question me troublait encore, malgré tout. Si le cerveau est un orchestre, comme le suggérait le professeur Livingston, ne devrait il pas y avoir un chef d' orchestre? Ne devrait il pas y avoir une cellule ou un organe, identifiable objectivement, pour diriger le tout? Nous pensons certainement comme s'il existait quelque chose de semblable; ou, du moins, nous nous y référons quand nous disons, par exemple: " j'ai l'esprit ailleurs", ou " rien ne me vient à l'esprit", ou " j'ai sûrement perdu l'esprit".

  Mes conversations avec des spécialistes des neurosciences, des biologistes et des psychologues m'ont appris que la science moderne a longtemps essayé de trouver ce "chef d'orchestre". Elle y a consacré de gros efforts dans l'espoir de découvrir un ensemble de cellules qui dirigerait la sensation, la perception, la pensée et les autres activités mentales. Mais jusqu'ici, même en ayant recours à la technologie la plus sophistiquée, elle n'a pas trouvé trace du chef d'orchestre. Il n'existe aucune zone, dans le cerveau, aucun " moi ", dirions-nous, même infime, dont on pourrait affirmer qu'il est responsable de la coordination  des informations entre les différentes couches.

  Les spécialistes des neurosciences ont donc renoncé à l'idée de chercher un chef d'orchestre et ont choisi d'explorer les principes et les mécanismes qui font que des milliards de neurones répartis dans tout le cerveau sont capables de coordonner leurs activités harmonieusement, sans avoir besoin d'un administrateur central. Ce comportement " global " ou " repartit " peut être comparé à l'accord spontané d'un groupe de musiciens de jazz. Lorsque les musiciens de jazz improvisent, chacun joue peut-être une phrase musicale légèrement différente. Pourtant, d'une manière ou d'une autre, ils parviennent à jouer ensemble de façon harmonieuse.

  L'idée de localiser un " moi " dans le cerveau s'explique dans une grande mesure par l'influence de la physique classique, laquelle s'était traditionnellement concentrée sur l'étude de lois gouvernant des objets localisés. De ce point de vue traditionnel, si l'esprit produit un effet - sur les émotions, par exemple -, il doit se trouver quelque part. Pourtant cette idée d'entités solides est discutable dans le contexte de la physique moderne. Chaque fois qu'un chercheur identifie le plus petit élément de matière imaginable, un autre découvre ensuite que celui-ci est encore composé de particules plus infimes encore. À chaque nouvelle découverte, il devient plus difficile d'identifier de manière concluante le moindre constituant fondamental de la matière.

  Logiquement donc, même s'il était possible de disséquer le cerveau en le réduisant à des éléments de plus en plus fins, jusqu'à l'échelle subatomique la plus infinitésimale, puisque chaque particule est composée de particules encore plus petites, comment serait-il possible d'identifier celle qui constituerait l'esprit? 

  C'est à ce stade que le bouddhisme pourrait sans doute offrir un point de vue inédit qui servirait de point de départ à de nouvelles recherches. Le mot tibétain pour désigner l'esprit est " sem ", que l'on pourrait traduire par " ce qui connaît ". Ce terme, à lui seul, peut aider à comprendre le point de vue bouddhiste selon lequel l'esprit n'est pas tant une entité spécifique qu'une ´capacité´ de reconnaître ce que nous vivons, et d'y réfléchir. Bien que le bouddha enseignât que le cerveau était bien le support physique de l'esprit, il prit soin d'ajouter que ´l'esprit lui-même´ N'est pas quelque chose de visible, de tangible, ni même d'analysable à l'aide de mots. De même que l'œil n'est pas la vue ni l'oreille l'ouïe, le cerveau n'est pas l'esprit.

  L'une des premières leçons que mon père me donna est que le bouddhisme ne considère pas l'esprit comme une entité séparée, mais plutôt comme une expérience qui se déroule continuellement. Je me souviens à quel point cette idée me sembla d'abord étrange, alors que je me tenais assis dans la salle d'enseignement de son monastère, au Népal, entouré d'étudiants venus du monde entier. Nous étions si nombreux, entassés dans cette pièce minuscule, que nous pouvions à peine bouger. Mais, par la fenêtre, je pouvais voir un immense paysage de forêts et de montagnes, et mon père était là, très calme, indifférent à la chaleur dégagée par tant de personnes, en train d'expliquer que ce que nous prenons pour notre  identité -" mon esprit "," mon corps "- est en fait une illusion créée par le flux incessant de pensées, d'émotions, de sensations et de perceptions.

  Je ne peux pas dire si c'etait dû à la force de l'expérience de mon père tandis qu'il parlait, ou au contraste entre la sensation d'être serré sur un banc avec d'autres étudiants et la vue du vaste espace qui s'offrait à moi par la fenêtre - où les deux à la fois -, mais à ce moment-là un déclic s'est produit, comme on dit en Occident. J'ai vraiment ressenti la liberté qu'il y a à faire la différence entre la pensée liée par les concepts de " mon esprit " ou " mon moi " et la possibilité de simplement être, aussi vaste et ouverte que l'étendue du ciel et des montagnes au delà de la fenêtre.

  Plus tard, en Occident, j'ai entendu des psychologues comparer notre perception de l'esprit et du moi au fait de regarder un film. Lorsqu'on regarde un film, on a l'impression d'être en présence d'un flux continu de sons et de mouvements, alors que des images bien distinctes les unes des autres sortent du projecteur. Si nous pouvions voir le film image par image, notre impression serait totalement différente.

  C'est exactement comme cela que mon père m'a enseigné à regarder l'esprit. Si je pouvais observer chaque pensée, chaque sentiment, chaque sensation qui défile dans mon esprit, l'illusion d'un moi limité s'évanouirait et serait remplacée par une sensation de conscience beaucoup plus calme spacieuse et sereine.

  J'ai également appris, auprès de scientifiques, que si l'on observe l'esprit sous cet angle, ce que l'on y voit opére des modifications dans les échanges entre les neurones: on peut transformer ainsi le " bavardage " cellulaire qui perpétue le sentiment du moi.

 

Yongey Mingyur Rinpoché

Bonheur de la méditation

 

 

 

 

 

 

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