Le lézard
Un matin, alors que deux lézards cherchaient dans la cour d'une ferme un endroit ou se dorer au soleil, ils avisèrent un pan de mur au-dessus de l'étable. Ils l'escaladèrent pour s'installer en équilibre juste au centre du petit carré ensoleillé.
Ils étaient si bien sous la caresse des rayons du soleil que, oubliant leur fragile équilibre, ils s'assoupirent et tombèrent de toute la hauteur de l'étable.
La chute leur aurait été fatale si une jatte remplie du lait tout frais de la traite du matin ne les avait accueillis en bas. Ils se réveillèrent et, affolés, ils se mirent à nager de toutes leurs forces dans l'espoir de se sauver. Mais les parois de la jatte étaient si lisses qu'à chaque fois qu'ils essayaient de remonter ils glissaient.
Ils nagèrent dans tous les sens sans entrevoir la moindre issue.
Alors le premier lézard se dit: « À quoi bon lutter, on ne s'en sortira jamais...», et il se laissa couler, se noyant dans la douceur du lait.
Le second se dit: « Tant que je suis en vie, je n'abandonnerai pas la partie...»
Et il résista avec la force du désespoir, battant longtemps de ses pattes le lait qui se transforma en crème, fouettant longtemps de sa queue la crème qui se transforma en une belle motte de beurre ferme. Il n'eut qu'à l' escalader pour retrouver la liberté.
Conte arabe raconté par Nacer Khemir,
L´ Alphabet des sables,
Syros Jeunesse, 1998